Les tablettes de Glozel, une découverte qui bouleverse l’histoire ?

Le 1er mars 1924, Émile Fradin, un jeune agriculteur de Glozel, dans l’Allier, découvre par hasard un site – une sorte de fosse aux murs de briques solidifiées entre elles – que certains datent aussitôt de l’époque préhistorique. Avec les tablettes de Glozel, une des plus longues controverses de l’archéologie moderne commence.
En quelques jours, Fradin extrait du sol des briques marquées d’empreintes de mains, deux galets portant des caractères linéaires ainsi qu’une petite hache. Des fouilles plus systématiques, organisées par un médecin vichyssois féru d’archéologie, le Dr Morlet, débutent le 24 mai 1925.

La polémique s’installe

Dès 1924, un préhistorien connu, le Dr Capitan, trouve le gisement de Glozel si intéressant qu’il propose de communiquer un rapport à la commission des Monuments historiques. Puis, après la publication d’un mémoire par le Dr Morlet, et alors qu’il a tenté en vain d’obtenir le monopole des fouilles, le préhistorien change d’attitude : il affirme que Fradin a, en fait, fabriqué lui-même tous les objets du site. Car ces objets en os, en pierre et en céramique (dont une quarantaine de tablettes) sont recouverts de ce qui est apparemment une écriture alphabétique. Or, les os semblent appartenir à la fin du magdalénien, c’est-à-dire qu’ils dateraient d’environ 9 000 ans avant notre ère, soit 7 500 ans environ avant la date reconnue alors pour l’invention d’une telle écriture, entre le XVIIIème et le XIVème siècle avant notre ère. En conséquence, le ministre des Beaux-Arts refuse le classement.

La guerre des tablettes de Glozel

Le Dr Morlet demande alors à des scientifiques de venir étudier Glozel. Ceux qui acceptent de faire le voyage s’affirment rapidement certains de l’authenticité de la découverte. Parmi eux se trouvent des membres de l’Institut et des conservateurs de musées tels que les Pr Reinach (Saint-Germain-en-Laye), Espérandieu (Nîmes), Bjom (Oslo) ou Leite de Vasconcellos (Lisbonne). L’abbé Breuil, le célèbre préhistorien, se prononce aussi favorablement. Mais, après la découverte de la représentation d’un renne sur un des objets, il se rétracte, affirmant impossible l’existence d’un tel animal en ce lieu et à la date supposée du site. Simultanément, le succès grandissant du musée de Glozel finit par faire changer d’avis une autre personnalité scientifique : le conservateur de celui des Eyzies, un lieu très visité et qui pâtit subitement de cette concurrence. En 1927, une commission internationale est constituée par le Congrès de l’Institut international d’anthropologie, mais ce sont deux détracteurs, dont le Dr Capitan, qui sont chargés d’en choisir les membres. Au cours des fouilles que cette commission entreprend, l’un des archéologues, Miss Garrod, est accusé par le Dr Morlet d’avoir tenté d’introduire des objets récents dans le site pour «prouver» l’imposture. Quoi qu’il en soit, la commission conclut par un rapport négatif. Un comité d’études de douze savants est ensuite créé pour réexaminer Glozel. Il fait procéder à de très nombreuses analyses et finit par proclamer, à l’inverse, l’authenticité du site, qu’il fait remonter au début du néolithique (environ 8 000 ans avant notre ère).

Justice et archéologie

C’est finalement un spécialiste des Phéniciens, le savant René Dussaud, qui tente avec le plus de vigueur de prouver que Glozel est une supercherie.
En effet, l’écriture gravée sur les tablettes (ainsi que d’autres, semblables, découvertes jusqu’au Portugal), si elle date du néolithique, détruit la thèse qu’il soutient ardemment, du caractère premier de l’écriture étrusque. L’affaire tourne d’ailleurs au rocambolesque : attaqué en diffamation par Émile Fradin, R. Dussaud réussit, en retour, à faire déposer une plainte par la Société préhistorique de France, sous un prétexte dérisoire. Une perquisition a lieu le 25 février 1928 au musée, au cours de laquelle des objets sont entassés sans ménagement dans deux caisses, à fin d’analyse, par l’Identité judiciaire. Celle-ci établit un rapport, aux conclusions totalement négatives mais si fantaisistes que le tribunal se retrouve dessaisi du cas. De tribunal en tribunal, d’appel en appel, la controverse scientifique cède la place à une dérisoire affaire procédurière. En 1929, les fouilles sont finalement arrêtées mais le musée reste cependant ouvert, avec quelque deux mille pièces en exposition.
Glozel ne revient sous les feux de l’actualité qu’en 1974, lorsque quatre instituts français et étrangers de renom procèdent à une datation par thermoluminescence des tablettes et des objets. Leur verdict est sans appel : les tablettes sont authentiques, mais plus récentes qu’on ne le pense-entre 500 avant notre ère et 100 de notre ère et certaines céramiques datent cependant de 5 000 ans. Cinquante ans après sa découverte, Émile Fradin voit enfin son honnêteté reconnue : il reçoit en 1990 les palmes académiques. Mais la différence d’ancienneté entre les diverses pièces, os (datant de 13 000 à 15 000 ans avant notre ère d’après un premier examen au carbone 14) et céramiques et tablettes plus récentes laisse planer un mystère sur la nature exacte du site et donc sur l’origine de l’écriture des objets qu’il contient.